Le soleil décline sur l'immensité de la plaine. Les derniers rayons dorés caressent la vaste étendue d’herbes de Warrawindi Farm. Un calme rare, mélange de force naturelle et d’harmonie, se dégage de cette propriété de 1 200 hectares, située en Australie du Sud près de la petite ville historique de Penola, dans le Coonawarra, au cœur de la Limestone Coast et aux portes du Victoria. On se réveille ici face aux kangourous, aux émeus et au bétail, et on s’endort sous un ciel constellé d’étoiles, réputé pour sa pureté.
Le charme de cette terre réside autant dans la vitalité d’une nature sauvage toujours bien présente que dans son histoire et l’équilibre que l’homme a su préserver. C’est ici que la famille Galpin a planté ses racines il y a plus d’un siècle. Un an après leur mariage en 1849 à Willunga, au sud d’Adélaïde, et quelques années seulement après leur arrivée en clipper d’Angleterre, John et Charlotte Galpin avaient quitté la côte pour gagner le sud-est de la colonie, encore entièrement sauvage. Le trajet de 400 km, long et éprouvant, s’était fait en charrette à bœufs sur des pistes de terre à peine tracées, serpentant à travers le bush. Il avait fallu plusieurs semaines pour rejoindre la région, au rythme lent d’un convoi qui transportait bétail, outils et espoirs d’une nouvelle vie. À l’époque, la région de Penola était couverte de plaines humides et de forêts d’eucalyptus et d’acacias. Ils drainèrent les sols, abattirent des arbres et se lancèrent dans l’élevage, misant sur la laine de mérinos.
Leur fils James, puis son propre fils Henry, et enfin Dean, fils d’Henry, ont poursuivi leur œuvre, façonnant ces paysages volcaniques de leurs mains, apprivoisant la pierre calcaire et les vents venus de l’océan Austral.
Cinq générations et cent soixante-quinze ans plus tard, David et Alison Galpin perpétuent ce travail et valorisent l’héritage de leurs ancêtres en mêlant traditions, modernité et respect d’un environnement riche mais fragile. Les moutons paissent désormais aux côtés de bovins limousins, herefords et angus, de kangourous et d’émeus régulièrement présents, et les pâturages alternent avec des zones de régénération écologique. Ici, on parle désormais de biodiversité, de suppression des pesticides, d’engrais naturel, de rotation des sols et de gestion raisonnée de l’eau. Autant de mots qui traduisent une nouvelle philosophie : celle d’une agriculture durable, ancrée dans son territoire.
« Il ne s’agit plus seulement d’exploiter la terre, mais de l’écouter », confie David, les yeux posés sur cette plaine immense qu’il a appris à aimer. Le couple y a élevé six enfants, installés pour la plupart dans la région, et compte aujourd’hui quatorze petits-enfants.
« Plongé pendant des années dans un travail intense, je ne réalisais pas la beauté de cet endroit, » raconte-t-il. « En la faisant découvrir à ma famille et à mes amis, j’ai compris la chance que j’avais. J’ai alors voulu aller plus loin : offrir à d’autres la possibilité de ressentir ce que j’éprouve ici chaque jour. »
De cette idée est né un projet d’hébergement à taille humaine, fidèle à l’esprit du lieu. En 2025 deux villas contemporaines ont vu le jour dans la propriété. Conçues par David à partir de matériaux locaux, elles se fondent dans le paysage et s’ouvrent sur la plaine avec leurs larges baies vitrées. À l’intérieur, le décor pensé par Alison mêle bois blond, lin lavé et tons de terre, comme un écho au paysage environnant. Pensées pour les couples en quête d’intimité comme pour les familles désireuses d’espace, l’une peut accueillir deux hôtes, l’autre jusqu’à quatre. Chaque détail invite au repos : spa extérieur ou jacuzzi intérieur, cheminée pour les soirées d’hiver, cuisine ouverte et immenses fenêtres qui transforment chaque lever du jour en spectacle vivant.
Quand la nuit tombe, un autre tableau s’offre aux visiteurs : celui du ciel austral, d’une pureté saisissante. Loin des lumières urbaines, la Voie lactée se déploie dans toute sa clarté, fascinant les amateurs d’astronomie autant que les rêveurs. Dans ce silence traversé d’étoiles, Warrawindi dévoile son essence : un lieu où la nature, le temps et la mémoire familiale se rejoignent dans une même respiration.
Ici, la cohabitation entre agriculture, tourisme et nature sauvage a trouvé son équilibre. David Galpin s’est associé à Coonawarra Experiences, une entreprise dirigée par Simon et Kerry Meares, deux passionnés de la région originaires de Melbourne. Devenus amis, ils partagent la même vision : faire découvrir la Limestone Coast à travers une approche authentique, respectueuse des paysages et des habitants. Ensemble, ils imaginent des séjours où Warrawindi Farm devient le point de départ d’excursions, de la terre rouge du Coonawarra au Blue Lake de Mount Gambier, à une cinquantaine de kilomètres, en passant par les formations calcaire de Naracoorte, et les dunes blanches du Canunda National Park.
Au petit matin ou à la tombée du jour, David propose des safaris en 4×4 à travers ses terres. Kangourous, wallabies, émeus, mais aussi brolgas – ces grues majestueuses aux danses nuptiales spectaculaires – se laissent observer au détour des forêts, des bosquets et des points d’eau.
La propriété abrite également un refuge pour le cacatoès noir à queue rouge (Red-tailed Black Cockatoo), une espèce rare et protégée dont le cri rauque résonne comme un écho venu des temps anciens. Et, Simon et Kerry complètent l’expérience à travers des circuits personnalisés en Land Cruiser pour décoder les mystères de ce territoire aux multiples facettes.
À une quinzaine de kilomètres de Warrawindi, une visite de la petit ville de Penola (1 600 habitants) s’impose. Ce cœur historique du Coonawarra, lové entre vignobles, forêts et prairies, rayonne bien au-delà de ses frontières pour la richesse de son patrimoine culturel et spirituel.
C’est ici qu’a vécu Mary MacKillop (1842-1909), figure emblématique de la foi australienne et première sainte du pays, canonisée en 2010. Dans une modeste écurie, elle fonda la première école de sa congrégation, dédiée à l’éducation des enfants des familles rurales. Son héritage demeure palpable : chapelle, musée, centre d’interprétation et jardins invitent encore aujourd’hui les visiteurs à un voyage intérieur, entre ferveur et histoire.
La rue principale conserve l’empreinte des premiers colons, avec ses façades en pierre calcaire, ses vérandas en dentelle de fer et ses boutiques anciennes classées au National Trust. En flânant le long de Petticoat Lane, on remonte le temps : d’anciennes demeures bâties entre 1850 et la Première Guerre mondiale évoquent l’audace des pionniers écossais et anglais venus apprivoiser ces terres neuves. Jardins d’époque, senteurs de lavande et rosiers anciens complètent ce tableau bucolique où flotte encore l’esprit du bush australien.
La découverte de la région peut également commencer par un dîner à Mayura Station, exploitation historique fondée en 1845 qui a révolutionné l'élevage de bœuf wagyu en Australie. Ici, les bovins full-blood wagyu sont surnommés affectueusement les "chocolate wagyu" car leur alimentation intègre du chocolat et des sucreries produites dans le sud du pays. Cette innovation a donné une saveur singulière à la viande et propulsé la station parmi les producteurs les plus primés du continent. L'expérience culinaire se déroule dans le restaurant de la ferme. Les convives assistent d'abord à une démonstration de préparation et de cuisson par le chef Mark Wright, avant de partager la Chef's Table où chaque bouchée révèle la finesse de cette viande marbrée.
Dans l'assiette, le filet mignon Wagyu Mayura attire d'abord par sa finesse. Sa coupe régulière, délicatement saisie à feu vif, révèle un cœur tendre qui fond presque sous la lame du couteau. En bouche, la texture est soyeuse, avec une saveur douce et persistante, à la fois beurrée et légèrement noisettée. Mais, c’est le Full-Blood Wagyu MB9+ qui incarne le sommet du savoir-faire de Mayura. Sa densité de marbrage, classée parmi les plus élevées du continent, confère à chaque tranche une mosaïque de gras finement intriqué. À la cuisson, ce gras se liquéfie doucement, imprégnant la viande de saveurs profondes et d'une jutosité singulière. Le premier morceau délivre une richesse presque caramélisée, où se mêlent des notes de beurre, de noisette et une pointe sucrée, héritage du fameux régime « chocolate fed » des bovins. C'est une expérience plus qu'un plat : un voyage sensoriel où chaque bouchée prolonge la précédente, dense et soyeuse à la fois.
Le lendemain matin, départ avec Simon pour explorer les Naracoorte Caves, à une trentaine de kilomètres de Penola. Classées au patrimoine mondial de l'UNESCO, ces grottes sont considérées comme l'un des sites paléontologiques les plus importants du continent. Le chemin s'enfonce dans la forêt avant d'atteindre une discrète ouverture dans le sol calcaire. Dès les premiers pas, l'air se fait plus frais et l'obscurité s'installe. Sous la lumière des lampes, les parois dévoilent des concrétions millénaires : stalactites effilées, draperies minérales figées, colonnes sculptées par l'eau au fil du temps.
Le silence est presque total, rompu seulement par l'écho des pas. Dans certaines galeries, les sols apparaissent comme de véritables archives naturelles : couches sédimentaires, ossements incrustés, empreintes de créatures disparues. Les fossiles racontent l'Australie d'il y a plus de 60 000 ans, avant l'arrivée des premiers hommes. On distingue les restes de kangourous géants, d'énormes reptiles ou encore de lions marsupiaux, prédateurs redoutés de la mégafaune.
Après l'exploration souterraine, la route mène aux vignobles de Coonawarra, l’une des régions viticoles les plus réputées d’Australie. Chez Wynns Estate, fondé en 1891, les verres se remplissent d'un cabernet sauvignon façonné par les terres rouges de la Terra Rossa, une bande fertile de seulement quinze kilomètres de long sur deux de large, qui confère aux raisins une complexité aromatique saluée par les œnologues.
Cette terre ferrugineuse, formée il y a des millénaires, repose sur un sous-sol calcaire qui permet aux vignes de puiser en profondeur les minéraux nécessaires à l'élaboration de vins élégants. Le guide sommelier évoque les millésimes tandis que les arômes se déploient lentement. La visite se prolonge dans la cave centenaire : murs épais, barriques sombres, silence chargé de mémoire.
L'après-midi se poursuit à 15 km de Penola, chez Confido Olives. Les oliviers centenaires dessinent un paysage où résonne encore l'histoire de colons méditerranéens venus planter leurs racines dans cette terre généreuse. Heidi Boyde, tombée amoureuse du lieu il y a quatre ans, s'y est installée pour redonner vie au verger. Elle transforme aujourd'hui les fruits en huiles aux saveurs subtiles, mais aussi en produits cosmétiques.
Une autre étape est particulièrement émouvante : la rencontre avec Trudy Taylor. En douze ans, cette femme discrète, postière à la retraite, a transformé sa propriété de cent hectares de bush en refuge privé pour kangourous orphelins, rescapés des routes d’Australie-du-Sud. Simon et Kerry ont tissé un lien d’amitié et obtenu l’autorisation de rendre régulièrement visite à ce lieu unique. Dans un vaste enclos, une dizaine de jeunes kangourous ont trouvé ici une nouvelle mère. L’un d’eux, à peine âgé de deux mois, se pelotonne dans une poche en toile suspendue, prêt à prendre son biberon quatre fois par jour.
Trudy raconte comment tout a commencé avec un premier joey, retrouvé vivant dans la poche de sa mère morte. « Je pensais le nourrir quelques mois puis le relâcher », explique-t-elle. « Mais quand d'autres sont arrivés, j'ai compris que c'était devenu ma mission. » En Australie du Sud, les kangourous recueillis ne peuvent pas être réintroduits dans la nature, considérés comme inadaptés à une vie sauvage. Aujourd'hui, une trentaine de kangourous adultes du bush viennent régulièrement le soir autour de la propriété, attirés par cette oasis préservée et sans doute aussi par la nourriture qu'on y trouve.
Ces expériences tissent les fils d’un territoire : l’hospitalité de Warrawindi, entre pâturages et vie sauvage, l’héritage culinaire de Mayura Station, la tradition viticole de Coonawarra, la culture des olives d’Heidi et la bienveillance de Trudy pour ses kangourous. Autant d’univers qui révèlent l’âme profonde de la Limestone Coast et, au-delà, celle de l’Australie.